Low tech... let's go wild tech ?

Magazine Strategos #73, Septembre 2022

Par: Fabrice Pawlak, co-fondateur DMC Terra, Mice Serendip, plateforme de services Togezer, logiciel Toogo.  

Q: Quelle est la prochaine évolution technologique du dmc ? 

Âge de pierre, âge de bronze, âge de fer, nous connaissons tous notre histoire de l’évolution linéaire des techniques.  Conquêtes, explorations, caravanes, nomades, routes de la soie, croisière sur le Nil, Thomas Cook, les congés payés, le Club Med, le tourisme de loisir, puis de masse, puis de niche, et aujourd’hui les vols low-cost, le digital, cette histoire aussi paraît linéaire. Et on nous annonce déjà une époque marquée par les biotechnologies, les voyages spatiaux, le metaverse, l’avion à hydrogène, les objets connectés, la réalité augmentée. Bref, notre histoire ne serait qu’un mouvement de la basse-technologie (low-tech) vers les technologies de pointe (high-tech), une évolution du simple vers le complexe. Physiquement, ce mouvement est très énergivore et est contraire à l’entropie, processus naturel qui conduit à l’augmentation du désordre.    
Et pourtant, les ENR ou énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) ne sont pas, comme on nous le dit dans les médias, les énergies du futur mais bel et bien les énergies de notre passé, et ce, depuis des millénaires.    

Et si la crise écologique venait briser cette croyance de l’évolution linéaire ?   

Notre époque présente une rupture inédite dans l’Histoire: une espèce, la nôtre, bouscule rapidement et fortement les équilibres bio-géophysiques de notre vaisseau spatial et met en danger le vivant contenu dans sa biosphère, à l’évidence le socle de Tout; On appelle cela l’Anthropocène, l’âge ou nous sommes devenus un agent climatique. La surexploitation exponentielle des ressources planétaires par une démographie exponentielle nous a conduit à la situation actuelle: graves crises écologiques et raréfaction des ressources (pétrole, eau potable, métaux) ou l’habitabilité de notre vaisseau spatial à horizon 2080 est incertaine. Pire que cela, un scénario à la Mad Max est le plus probable sans révolution de nos modes de vie occidentaux.    

A contrario de l’idée reçue, étant donné l’irréversibilité, l’immédiateté,  et la violence de la crise écologique, je crois que nous entrons dans une époque de ruptures, de révolutions plutôt que d’évolutions, et pourquoi pas à un retour en arrière, bien symbolisé par la low-tech. Le tourisme est concerné comme tous les autres secteurs. J’aime beaucoup cette phrase entendue d’un alpiniste: “le sommet est une voie sans issue”, qui dit tout.  

Q: C’est quoi la Low-tech ?  


Dès les années 70, parallèlement au mouvement écologique, aux hippies, aux virées à Katmandou, au rapport Meadows du Club de Rome, s'est développée une pensée critique de l’innovation, et du productivisme, tous énergivores et inadaptés au stock limité et non renouvelable de ressources.     

Dans ce bouillonnement est apparu le mouvement de la technologie douce ou sobre, la low-tech. En France, c’est un brillant ingénieur, Philippe Bihouix, qui la popularise avec la sortie d’un livre « l’âge des low tech », en 2014.    

La low-tech s’est construite en opposition à la high-tech, et désigne des innovations durables, utiles, et disponibles. La low-tech est la championne des 3R:  réparation, réemploi, recyclage. 
Philosophiquement, la low tech se rapproche beaucoup des thèmes de décroissance ou de sobriété et pose systématiquement ces questions:  Est-ce vraiment utile ? Est-ce réellement soutenable ? Est-ce durable
Techniquement, elle vise à réduire les dépenses énergétiques, l’empreinte écologique, et à augmenter notre résilience et autonomie. La low-tech pousse à optimiser tout le cycle de vie d’un produit, et au « glocal » (penser global, agir local), et à l’éco-conception des choses.     

Q: Et le tourisme low-tech alors                


Pour l’essentiel, la low-tech est une notion d’ingénieurs, applicable à la production de biens et à leurs usages et cycles de vie. Cependant, personne n’a vraiment cherché à définir le service low-tech, encore moins le tourisme low-tech. On y réfléchit depuis 3 ans maintenant. Par manque de place, je résume grossièrement: Le tourisme détruit ce qu’il désire. Un voyage lointain en avion à un bilan carbone désastreux. Le prix des billets d’avion va continuer d’augmenter. L’avenir a remplacé nos voyages lointains. Le voyage utile remplace progressivement le tourisme consumériste. Bref, nous allons voyager moins loin, plus longtemps, moins souvent, utilement, et différemment.    

Nous avons réuni tout cela sous le terme de voyage Lowcal, mix de low-tech et de local,  Nous avons aussi investi le terme de technologie, contraction de technologie et d’écologie.    

Q: comment cela se traduit-il concrètement dans tes entreprises ?    


Pour commencer, cela a des répercussions au niveau personnel; j’essaye d’être une personne lowcale, un prof lowcal ou même un père lowcal: utile, durable et disponible. Ca change beaucoup de choses au quotidien, et moi qui aimait entretenir une séparation stricte entre le pro et le perso, et bien je constate que cette frontière est devenue très floue: rapport à l’alimentation (perso mais aussi pour nos voyageurs), au local (microaventure, investissement local), à l’appétence pour des services comme AirBnb, le train, Blablacar, à la longueur de nos voyages, et à notre politique digitale.    


Q: merci de préciser…  


On essaye d’appliquer la philo de Sénèque: « La vie ce n'est d'attendre que l'orage passe, mais d'apprendre à danser sous la pluie ».    

Par exemple pour les receptifs  Terra Brazil  et  Terra Bolivia Le bilan carbone moyen d’un français est de 11 tonnes CO2 équivalent (t) en 2019, et on peu raisonnablement penser qu’il est plutôt de 14 t pour une personne qui voyage au Brésil pour ses vacances. Si on veut faire notre part et respecter les accords de Paris, il faut baisser de 7% par an ce chiffre pour aboutir à 2 t vers 2050. Un vol AR Paris-Rio = 5 t  (et surement plus si on considère le scope 3 du bilan carbone: construction de l’avion, de l’aéroport, les douanes,…). Si le voyageur effectue les vols domestiques habituels (Sao Paulo-Igaçu-Sao Paulo-Manaus-Salvador- Sao Paulo), alors le bilan aérien approche les 10 t… On a donc décidé de  supprimer progressivement les vols domestiques de nos circuits. C’est tout sauf simple, et c’est insuffisant.    

De plus, il n’y a pas que le dérèglement climatique dans la vie… il y a aussi, entre autres, l’érosion de la biodiversité, l’usage des sols (sur-tourisme ?), l’eau potable, la baisse de productivité et de fertilité de nos sols, les pollutions, le méthane, le ciment, les points de bascule à venir et les conséquences directes et indirectes de ce grand bazar sur notre quotidien à court terme. Et un réceptif peut aussi diminuer son impact sur ces aspects là, en améliorant le transport, l’hébergement, la restauration, les activités de ses voyages, et surtout, ce qui est souvent négligé, sa politique digitale.    

Le bilan carbone du digital sera supérieur a celui de l’aviation civile en 2022, et l’écart va s’accentuer.  Grossièrement, le bilan carbone du digital c’est: 1/3 Infrastructure (les réseaux, la 5G, la 4G, les câbles sous-marins, les serveurs) 1/3 hardware (en particulier les écrans et smartphones) 1/3 usage et software (et dans celui ci, 80% pour le flux video et réseaux sociaux)    

Donc on a repensé l’usage des réseaux sociaux, les Adwords, notre com, nos sites web, au télétravail, à la formation de nos équipes, et à notre responsabilité en tant qu’éco-employeur ou d’éco-entrepreneur. Ce qu’on appelle aujourd’hui la RSE, et notre mission d’entreprise.    

Ceci dit, l’écologie n’est pas un positionnement ou une thématique de voyages, c’est un pré-requis. Un voyage qu’on vend, c’est d’abord une histoire qu’on raconte, ou qu’on se raconte. « Si le monde est un grand livre, voyager, c’est en lire quelques pages ».     

Pour être durable, il faut d’abord être rentable. Car si tu ne vends pas de voyage, ou que tes voyage n’intéressent pas grand monde tu fermes boutique, ma’a Salama, good-bye, adios, et d’autres prendront ta place. Le bilan carbone d’un voyage ne fait pas rêver… et ne devrait pas devenir un argument marketing.    

Et puisque le voyage a de nombreuses vertus, alors autant rendre le voyage plus utile. Cela nous pousse à developper de nouvelles thématiques et à devenir plus producteur que vendeur de voyage; et donc à chercher à quitter le tourisme sur mesure qui consiste à donner au client ce qu’il veut parce qu’il paie. Proposer des voyages dont on est fier, qui ont du sens pour nous, qui nous semblent utiles. Assumer notre expertise du voyage. Resserrer notre offre.  Développer des thématiques fortes. Quelques exemples: le voyage inattendu, la learning expeditions, le voyage familial, le voyage apprenant, la collection immersion « vis ma vie de Patagon, de Gaucho… », le voyage littéraire, le voyage distanciel.
Une fois de plus, c’est tout sauf simple et c’est un pari que nous prenons. 
Le futur est déjà là, et c’est maintenant et ici que se joue notre avenir.    

Q: Le voyage sobre ou lowcal n’est t-il pas une régression et une vision bobo-ecolo-décroissante du tourisme ?  


D'une part les low-tech ne serait pas « scalable » et en mesure d’influencer l’économie réelle, et elles sont vues de loin comme la marques des bobos occidentaux, ou un truc réservé à ceux qui n’ont pas à affronter la dureté du business. Cette critique me semble fondée car la low-tech c’est aussi un mouvement contre la high tech et le productivisme, et je préfère la collaboration à l’opposition et c’est ainsi que je suis tombé sur la wild tech…    


Q: c’est quoi la wild tech ?   


La wild tech permet de sortir du conflit low et high tech. C’est un truc hybride entre les deux et c’est d’abord l’appropriation de la high-tech des riches par les pauvres et son détournement. Elle est très répandue hors monde occidental, bien plus que la low-tech. La wild tech s’inscrit dans une philosophie du détournement plus que dans l'opposition à l'innovation, et se distingue par les directions inattendues qu’elle donne à l’innovation. C’est une technologie sérendipienne car elle manie l’art de trouver ce qu’on ne cherchait pas au départ.    

La wild tech est tout ce qui est inclassable, créole, réemploi de high tech localement dans un pays pauvre, détournement d’une technique pour un nouvel usage. L’inclassable en somme.    
Quelques exemple de wild tech illustrée:
  • Circuit imprimé et souple à partir de déchets textiles
  • Réseau Wi-Fi longue distance gratuit dans une grande région d’amazone vénézuéliennes
  • Radio à base de déchets du quotidien.
  • Passoire en plastique qui remplace des pièces de radiateur d’automobiles.


                                                   

Regardons autour de nous: retour du vinyle, retour du train, quelle est la guerre qui a le plus utilisé le cheval ? De loin, la 2ème guerre mondiale.
Quelle est l’énergie, de loin, la plus utilisée dans le monde en 2021 ? le charbon, la plus ancienne des énergies ! Le plus grand symbole de cette wild tech, ce sont les voitures Ford à Cuba, rafistolées avec tout, et qui n’ont rien de cubaines. 

La wild tech me semble encore plus pertinente que la low-tech nous concernant: le voyage est un outil d’échanges, de brassage d’idées, et de rencontres fortuites et puissantes, sans frontière. Le Voyage est potentiellement le big data des neurones humaines, un réseau de cerveaux comme l’internet l’est pour les bits. Pour comprendre la wild tech et la répandre, il faut forcément voyager. La Wild Tech explore en quoi, les artistes, les déchets, les techniques locales peuvent aboutir à des solutions efficientes pour demain. 

Du reste, j’aime surtout la wild-tech car elle est fourre-tout et elle est très pragmatique: elle est foncièrement une technologie résiliente et d’adaptation, de faire avec ce qu’on a. Et comme le disait Jean Piaget: « l’intelligence ce n’est pas ce que l’on sait, mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ». Et puis, je crois en la sérendipité, cet opportunisme ouvert à tous les hasards heureux, et aux bienfaits de l’exploration. Et donc je suis allé faire un tour du coté d’un autre sujet de controverse: la blockchain, les NFT.


Q: On est loin de la low tech, là ?  


Au final, pas tant que cela. La blockchain est une technologie révolutionnaire inventée par un génie qui était sans doute issue de la sphère des hacktivisme Anonymous et du logiciel libre, donc des « communs »… La blockchain est une base de données infalsifiable, publique, anonyme, décentralisée, apolitique, ouverte.  Le Salvador a fait du Bitcoin une monnaie officielle et pour cause: sa diaspora peut aujourd’hui se passer des banques et de la politique pour envoyer de l’argent à leurs proches au Salvador, pour lesquels il est difficile et parfois impossible d’ouvrir un compte bancaire et d’avoir accès au dollar. On voit bien ici la proximité entre wild tech et la blockchain. 

Je m’y suis intéressé lors de l’organisation du salon GreenFrance: on nous demandait d’organiser une soirée VIP avec goodies à offrir, tout en étant ecolo. Alors on a demandé à un artiste de faire une oeuvre symbolisant le salon qu’on a ensuite découpé en 200 morceaux en les numérotant et en les transformant en jeton non fongible (NFT). On a offert une pièce à chaque participant. Ils y mettront la valeur affective qu’il souhaite. Et bien c’était un hommage la wild tech, une manière de détourner l’usage de la high tech, localement. 


Q: Mais le bitcoin est anti-écolo, non ?  


Le bilan carbone du Bitcoin est désastreux tant qu’il est basé sur le proof of work. Et il devient surement vertueux quand la crypto passe au proof of stake. Et Ethereum a prévu de passer en proof of stake en septembre 2022, ce qui fera de l’éther une cryptomonnaie surement bas-carbone. Ensuite, la blockchain est révolutionnaire, elle est là, et elle est tellement puissante qu’il est difficile de croire que ses meilleurs usages existent aujourd’hui; les NFT sont le bon exemple d’un ovni qui semble inutile au départ mais dont l’avenir est évident pour qui s’y intéresse. La blockchain est une terre serendipienne, un domaine ou l’on trouve ce que l’on ne cherchait vraiment pas. Et nous cherchons aujourd’hui les usages de la blockchain et de la NFT pour les événements itinérants, autre manière de voir un voyage.

Bref, la fin du monde est plein d’avenir.

Références:
- Low tech ? Wild tech !,Revue Techniques & Culture, n° 67
- https://lowtechlab.org/fr
- L ‘age des low-tech, Bihouix, 2014


La sérendipité vous parle aussi ?  
A bientôt, curieux de discuter avec vous...